Au Sénégal, pourquoi le tandem Faye-Sonko veut une banque de la diaspora

Avec des envois de fonds de sa diaspora dépassant les investissements directs étrangers et l’aide publique au développement, le Sénégal envisage de créer une banque dédiée pour canaliser ces ressources vers des projets structurants et durables.

Le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a relancé le samedi 7 septembre 2024, un ancien projet visant à créer une banque dédiée à la diaspora sénégalaise qui contribue chaque année de manière significative à l’économie du pays via des transferts de fonds estimés à plus de 2,9 milliards de dollars, soit environ 12 % du produit intérieur brut (PIB).

S’exprimant lors d’un déplacement à Matam, ville située à environ 1000 km de Dakar, M. Sonko a confirmé que le gouvernement concrétisera cette initiative, initialement promise en 2019 par l’ancien président Macky Sall. « Dans le programme du président Bassirou Diomaye Faye, nous avons prévu de lancer une banque de la diaspora. La diaspora transfère chaque année environ 1500 milliards de francs CFA, soit plus que l’aide publique au développement », a-t-il déclaré, faisant allusion aux 1,4 milliard de dollars d’aide publique au développement reçus en 2021. 

Un enjeu économique majeur

Les transferts de fonds de la diaspora représentent une source importante de devises pour le Sénégal, qui dépend fortement des flux financiers provenant de ses expatriés pour soutenir son économie. En 2023, ces transferts ont atteint 2,9 milliards de dollars, selon la Banque mondiale. Ces envois de fonds dépassent largement les investissements directs étrangers, qui stagnent autour de 2 milliards de dollars annuels et qui peuvent chuter sensiblement face aux chocs internationaux, contrairement aux transferts de fonds qui sont restés relativement solides, malgré la covid-19.

La majorité de ces transferts sont utilisés pour répondre à des besoins immédiats tels que l’alimentation, le logement et l’éducation. Toutefois, les autorités souhaitent désormais structurer ces flux pour financer des projets plus durables, notamment dans les secteurs des petites et moyennes entreprises (PME), de l’immobilier et des infrastructures sociales.

Objectifs de la nouvelle banque

La future banque de la diaspora aura pour mission de réduire les coûts des transferts d’argent qui restent élevés, malgré les avancées technologiques. Selon la Banque mondiale, les frais de transfert vers l’Afrique subsaharienne s’élevaient en moyenne à 6,4 % pour l’envoi de 200 dollars au 4e trimestre 2023, bien au-delà de l’objectif de 3 % fixé par les Objectifs de développement durable (ODD). Les banques traditionnelles en sont pour quelque chose, car d’après l’institution de Bretton Woods, le coût des transferts numériques était plus faible : 5 % contre 7 % pour les méthodes classiques en 2023.

Par ailleurs, la création d’une banque dédiée à la diaspora pourrait formaliser les flux financiers et en faire un levier pour le développement économique. Près de 60 % des PME sénégalaises, qui forment 90 % du tissu économique du pays et génèrent 60 % des emplois, ont des difficultés à accéder au crédit, selon les estimations. Une telle banque offrirait des prêts à des taux avantageux pour soutenir les initiatives entrepreneuriales et les projets d’infrastructures sociales, estiment les autorités.

Dakar espère également que cette institution aidera à mobiliser davantage de capitaux nationaux, réduisant ainsi la dépendance aux financements étrangers qui couvrent actuellement plus de 60 % des investissements publics.

Un modèle inspiré d’ailleurs

L’idée d’une banque pour la diaspora n’est pas nouvelle, ni spécifique au Sénégal. De nombreux pays ont déjà mis en place des structures similaires, avec des résultats probants. L’Ethiopie, par exemple, a lancé la « Commercial Bank of Ethiopia » qui propose des comptes en devises pour la diaspora, ainsi que des produits d’investissement immobilier et des crédits. En 2023, les transferts de fonds de la diaspora éthiopienne ont atteint 6 milliards de dollars, d’après les autorités éthiopiennes.

Avec une diaspora importante, le Maroc a lui aussi capitalisé sur cette ressource. La Banque marocaine BMCE propose des services financiers sur mesure pour les Marocains de l’étranger afin de faciliter l’accès à l’immobilier et aux PME. En 2020, les envois de fonds vers le Maroc ont atteint 11,7 milliards de dollars.

L’Inde et Israël ont régulièrement émis des obligations diasporiques (diaspora bonds) pour lever respectivement 11 milliards et 35 milliards de dollars, des fonds utilisés pour financer des infrastructures publiques depuis leur indépendance. Des pays comme le Nigeria et l’Ethiopie s’y sont déjà essayés avec succès.

Toutefois, plusieurs obstacles demeurent avant que le projet ne voie le jour. Notamment, la méfiance de certains Sénégalais de la diaspora vis-à-vis des institutions financières locales, suite à des expériences passées d’investissements mal gérés, surtout dans le secteur immobilier.